Enfants des rues RD Congo: une mission pour un avenir meilleur
di Chiara De Martino
Depuis 2004, la mission "Ndako ya biso" - qui signifie "notre maison" en lingala - a permis a réinsertion de 2500 enfants des rues au sein de leurs familles d'origine. Les difficultés économiques et sociales obligent souvent ces familles à abandonner leurs enfants. Cette mission, où 40 éducateurs y travaillent, aide à préparer le retour des enfants et un avenir meilleur pour eux et pour leurs familles.
République démocratique du Congo, pays situé en Afrique centrale. Il est le deuxième pays le plus vaste d’Afrique et le pays francophone le plus peuplé. En 2016, le pays entier a été touché par une forte crise politique, suite au report de l’élection présidentielle prévue le 20 décembre. L’objectif du président de l’époque, Joseph Kabila, était celui de rester indéfiniment au pouvoir. Pour cela, des manifestations commencent partout dans le pays, et à la crise politique fait suite une crise économique, avec la diminution des investissements, notamment étrangers.
Les conséquences - encore visibles aujourd’hui - ont été accentuées par l’arrivé de l’épidémie de Coronavirus, qui a encore plus étranglé la vie économique du pays, en affectant, notamment, la classe moyenne. Kinshasa, sa capitale, a été particulièrement touchée par la crise. Cette mégalopole tentaculaire est la troisième ville la plus peuplé d’Afrique et une des villes les plus peuplées à niveau mondiale, avec ses 13,2 millions d’habitants.
C’est ici que les problématiques politiques et économiques se lient - de façon encore plus amplifiée - aux nouvelles dynamiques sociaux, spécifiques aux grands agglomérats. Elles conduisent, notamment, à la désagrégation familiale. Dans un contexte où « il faut se battre chaque jour pour la survie ».
Tels sont les mots utilisé par Jean-Pierre Godding, que nous avons interviewé pour l'Agence Fides. Juriste et sociologue d’origine belge, depuis 2004 Jean-Pierre Godding habite au Congo, où il est responsable - en tant que membre laïc de la Communauté du Chemin Neuf - de la mission « Ndako ya biso », qui en lingala signifie « notre maison ». Il s’agit, en fait, d’un lieu d’accueil pour les enfants des rues de Kinshasa.
Ce qui distingue « Ndako ya biso » d’autres refuges pour les enfants c’est que l’objectif du projet ce n’est pas celui de donner un lieu d’accueil aux enfants, mais plutôt, celui d’aider ces enfants à se réinsérer dans leurs familles d’origine.
On estime qu’à Kinshasa vivent dans la rue entre 25 et 30 mils enfants. Toutefois, la majorité d’entre eux ne sont pas des orphelins. Ayant échappé ou en étant été chassé de leur maison pour multiples raisons, les éducateurs spécialisés de la mission travaillent pour retrouver leurs familles d’origine.
À ce sujet, Jean-Pierre Godding a récemment publié un livre intitulé, « Petits bandits, petits voleurs, petits sorciers. Méthodologie d’accompagnement et de réconciliation des enfants de la rue à Kinshasa » (Cerf, 2019). Nous l’avons interviewé à ce sujet.
Fides – Comme première question, on voulait partir, avant tout, du début de votre mission. Pourriez-vous nous expliquer comment est né votre projet ? Et quelles ont été les phases principales qui ont marqué la fondation et le développement de « Ndako ya biso » ?
J. P. – Avec plaisir, et merci à vous pour cette opportunité. Avec d’autres membres de ma communauté du Chemin Neuf, n.d.r nous sommes arrivés à Kinshasa en 2004, à la demande de l’Archevêque local. Notre paroisse était dans un quartier de milieu populaire. Quand nous sommes arrivés – je me rappelle encore aujourd’hui - quelqu’un nous a dit, « nous avons marché 40 ans dans le désert, et votre arrivée c’est comme être, finalement, en terre promise ». Dans le territoire de notre paroisse il y avait aussi une école abandonnée, à côté d’un rond-point. Et l’archevêque nous en avait fait don. Un cadeau assez exigent, parce que à l’époque y habitaient environ 200 enfants des rues. Nous avons vécu cette présence comme une interpellation : on s’est demandé si le Seigneur nous appelait à prendre soins de ces enfants. Après une première phase de discernement, nous avons commencé à entrer en relation avec eux, à écouter leurs besoins. Petit à petit sont nés les deux centres d’accueil : un pour les garçons, et l’autre pour les filles. Aujourd’hui, nous comptons environ 2500 réunifications familiales, depuis le début de cette mission.
Fides – Le contexte économique et les conflits familiaux sont les deux causes principales qui conduisent les enfants à habiter dans les rues. Pourriez-vous nous en parler davantage ?
J. P. – Oui, effectivement ces sont les deux moteurs principaux. D’un côté, la famille, dans des conditions de pauvreté n’est plus capable de payer les frais de scolarité à l’enfant, qui commence à mendier, à voler. Et, finalement, s’établit dans la rue. De l’autre côté, quand – par exemple - dans la famille se vérifie un décès, quand le père se remarie, ou à cause d’une maladie, ça arrive souvent la recherche d’un bouc émissaire, qui peut être identifié dans l’enfant. Un phénomène qui aggrave encore plus cette situation est l’arrivée de celles que j’appelle les « églises de réveil ». Elles sont nées dans les années 1990, face à la crise, ces églises donnaient des paroles de consolation aux gens. Beaucoup de familles s’appuient sur elles dans des moments de crise familiale. Les pasteurs de ces églises souvent accusent les enfants de sorcellerie. Si l’enfant a une maladie particulier, comme l’épilepsie, ou s’il souffre d’un trouble, comme la boulimie, par exemple, ces éléments sont indiqués comme un signe. À la famille est proposé – en échange d’argent – un exorcisme.
Fides – S’agit-il d’un caractère typique des cultures sub-saharienne ?
J. P. – Pas du tout. C’est un phénomène moderne, et typique des grandes villes. Dans la tradition la sorcellerie a toujours existé, mais elle était réservée aux vieux. Au contraire, les enfants sont considérés comme une richesse pour le village.
Fides – On peut dire que, suite à cet « exorcisme », le lien de confiance est rompu. La famille continue à se méfier de l’enfant. Elle prend ses distances, et l’enfant, petit à petit, commence à vivre dans la rue. Pour cela, entrer en relation avec eux, se mettre à leur écoute et leur donner un sens de sécurité est le premier objectif de votre mission. Le chemin entre la première rencontre avec l’enfant et la réunification familiale, si cela est possible, est assez long. Et les mesures mises en actes par « Ndako ya biso » sont nombreuses.
J.P.- Effectivement, ces enfants n’ont connu, pendant longtemps, que de la violence et du rejet. Notre premier pas est celui de nous rapprocher d’eux, et de créer un lien de confiance. On les amène chez nous. Petit à petit les éducateurs et les psychologues commencent à demander où leur famille habite. Normalement, au début les enfants donnent de fausses adresses. Ensuite, quand la famille est effectivement retrouvée, l’opérateur social doit se mettre en écoute tant de l’enfant que de la famille, et essayer d’être médiateur. Généralement, il existe deux types de réunification familiale : si la difficulté était avant tout économique, on essaie d’aider la famille en proposant une formation professionnelle aux mamans, ou en leur faisant un micro-crédit, afin qu’elles puissent ouvrir leur petite entreprise familiale. Par contre, s’il s’agit d’accusations de sorcellerie c’est plus compliqué. On ne peut pas dire à la famille que ça n’existe pas, parce qu’ils ne nous croiraient pas, pour cela, il faut plutôt essayer de les convaincre que désormais la situation s'est améliorée, ou prier avec eux, en disant que ça va les protéger. Dans tous les deux cas, après une réunification on suit les familles pendant trois ans, pour les accompagner dans ce parcours.
Fides – Aujourd’hui le Covid-19 a atteint quasiment toute la planète, en allant à toucher aussi les pays africains. De quelle façon cette crise planétaire a affecté votre mission ?
J. P. – Nous avons donné des aides alimentaires à 150 familles, quelque chose qui n’est pas habituel pour nous, mais nous sommes confrontés à une situation exceptionnelle. Avec le Covid nous avons aussi dû fermer le centre d’accueil pour les garçons, qui normalement est un centre ouvert. Nous accueillons maintenant de façon permanente une quinzaine d’enfants depuis le début de l’épidémie. Par contre, le centre d’accueil pour les filles, qui en accueille une vingtaine, est déjà normalement un centre fermé, cela pour protéger davantage les filles, qui habituellement sont beaucoup plus victimes de violence que les garçons dans la rue. Nous avons aussi dû arrêter l’accueil et le repérage d’enfants des rues, c’est ce que j’aimerais recommencer au plus vite. C’est fondamental pour les enfants, et pour notre mission aussi.
C’est fondamental, en effet. Comme cela a été fondamental pour Jeancy, 16 ans, échappé de sa maison après avoir gaspillé 10.000fc, dans l’argent que son père épargnait à chaque mois pour permettre à son fils de poursuivre ses études. Accueilli à Ndiako Ya Biso, Jeancy a finalement été convaincu à rentrer chez son père, qui depuis des mois le cherchait désespérément. Ou, encore, comme cette mission a été fondamentale pour Asnate, jeune fille, de 16 ans elle aussi. Orpheline de ses deux parents, elle est alors allée vivre chez sa grand-mère maternelle, qui n’avait pas de ressources suffisantes pour prendre en charge Asnate et sa petite sœur. Asnate, pas heureuse de cette vie, se retrouve très vite dans la rue, où elle subit des abus sexuels. Ensuite, elle commence à vivre de prostitution, jusqu’au moment où elle est accueillie par la mission Ndiako Ya Biso. Elle a très vite été accompagnée au niveau psychosocial, et sa grand-mère reçoit aujourd’hui un microcrédit de 50USD pour lui permettre de reprendre son petit commerce de feuilles de manioc, afin qu’elle puisse prendre soins de ses petites-filles.
Et, enfin, pour Bénédicte, fille de 10 ans, souffrant d’épilepsie. Comme dit sa grand-mère, « un tout grand merci à Ndako Ya Biso : au moment où j’arrivais au bout de mes forces et perdais espoir, la lumière est apparue ». Suite aux crises de sa petite-fille, sa grand-mère avait beaucoup dépensé en soins, elle l’avait amenée chez des tradipraticiens et dans des églises, qui lui promettaient des guérisons-miracles. Un jour Bénédicte choisi de quitter le lieu où elle était internée, fatiguée de cette vie. Elle sera ensuite accueillie par Ndako Ya Biso, où elle a été visitée par un spécialiste pour l’épilepsie. Son état s’améliore, et la mission arrive finalement à réunir Bénédicte à sa grand-mère. Cette dernière, grâce à l’aide de la mission, a pu ouvrir un petit commerce. Comme dit la grand-mère aujourd’hui : « il a fallu que Bénie se perde pour que je sorte du tunnel dans lequel j’étais en train de chanceler sans voir d’issue ; est-ce là le chemin de Dieu dans notre vie ? ».
Toutes celles-ci, et bien d’autres encore, sont les histoires vécues régulièrement à Ndako Ya Biso. Des histoires qui semblent sortir d’une quelque parabole de l'évangile et qui ont bien le gout de l’espérance, que – selon Jean-Pierre Godding – est ce qu’il faut, avant tout, semer chez ces jeunes des rues.