La synodalité de la mission: Eglises locales, Congrégations religieuses et Laïcs
di Agnes Kim Mi-Jeung
En comparant notre situation à l’époque de certitude de la mission, où beaucoup de missionnaires partaient aux quatre coins du monde, oui, la mission est certainement en crise. Mais nous ne pouvons dire que l’Esprit, l’agent principal de la mission, est aussi fortement agissant que dans le passé
1. En comparant notre situation à l’époque de certitude de la mission, où beaucoup de missionnaires partaient aux quatre coins du monde, oui, la mission est certainement en crise. Mais en étant vigilants à l’action de l’Esprit, qui nous ouvre et nous comble de dynamisme, que nous constatons dans le témoignage des participants du synode pour l’Amazonie, pour les jeunes, pour la famille…., nous ne pouvons dire que l’Esprit, l’agent principal de la mission, est aussi fortement agissant que dans le passé. Dès lors, au lieu de nous laisser infiltrer par le scepticisme ou par la nostalgie du passé, essayons de tourner la page et allons de l’avant en scrutant l’Esprit qui est à l’œuvre aujourd’hui aussi.
2. Jésus, commençant sa vie publique ; a dit : « Le moment favorable ‘kairos’ est venu et le Royaume de Dieu s’est approché » (Mc 1, 14). Oui, le moment favorable est définitivement arrivé et destiné à durer. La puissance de la Parole de Dieu se répand, aujourd’hui comme hier, dans le cœur des hommes et des femmes, jeunes et moins jeunes, en les nourrissant, les vivifiant et les aidant à être debout au cœur de notre monde d’aujourd’hui.
3. Notre situation ecclésiale actuelle, démunie dans sa force par la diminution des vocations et le vieillissement des membres, ne nous conduit-elle pas plutôt à l’essentiel, à la gloire de Dieu qui resplendit sur le visage de Jésus crucifié et humilié ? Et ne nous sollicite-elle pas à mieux vivre le mystère de la périchorèse en collaborant plus étroitement entre chrétiens comme témoignage de ceux qui sont nourris du Dieu trinitaire ? Pour annoncer cette Bonne Nouvelle au cœur de ce monde sécularisé et indifférent, qui semble soumis aux appétits de puissance du consumérisme, ce qui compte d’abord, c’est la capacité de marcher ensemble selon l’Esprit qui nous anime, et de devenir catalyseurs de la Parole de Dieu.
4. Chaque époque a sa propre manière de comprendre le monde et de vivre. Lorsque le paradigme de la société change, pour pouvoir mieux atteindre les contemporains, le discours théologique et la perspective missionnaire doivent être modifiés aussi, même si ce changement ne signifie pas une rupture totale avec l’ancien paradigme, puisque la vérité chrétienne n’est pas quelque chose d’aléatoire selon les changements du monde. Il faut nous interroger sans cesse ‘dans le contexte actuel, pour découvrir quel paradigme de la mission serait plus adéquat pour nos contemporains ?’
5. Pour aborder le sujet du congrès « From Maximum Illud to Evangelii Gaudium on the urgency of the missionary : transformation of the Church’ sous l’angle du thème qui m’a été demandé « Local churches, Religious Congregations, and Missionnary Institutes », je commencerai par une présentation de l’évolution de la pensée de la mission pendant cent ans, à travers les trois textes majeurs Maximum Illud (1919), Ad Gentes (1965) et Evangelii Gaudium (2013). J’essaierai de dégager la perspective missionnaire que montre chaque texte, à partir de la problématique de l’époque. Deuxièmement, je me focaliserai sur notre temps, en essayant de dégager quelques lignes de force, à travers les divers textes du pape François, qui reprend celles qui sont déjà prônées par le concile Vatican II pour les mettre en œuvre dans le monde d’aujourd’hui.
I. Evolution progressive du paradigme de mission, de Maximum Illud à Evangelii Gaudium
La perspective missionnaire étant étroitement liée à la perspective ecclésiologique, ce premier travail va être mené à deux niveaux : ecclésiologique et missiologique.
1) Maximum illud - mission vers l’érection de l’Eglise locale
1. En 1919, Benoit XV écrit Maximum Illud pour relancer la mission, qui était dans la désorganisation due à la situation douloureuse de l’après-guerre. Ce texte « va donner le branle à tout un immense mouvement ».
2. Depuis le XIXe siècle, l’expansion chrétienne se réalise dans le monde entier, par les 40 millions d’émigrants européens qui s’établissent au-delà des mers, grâce aux moyens de transports maritimes et ferroviaires. Grâce à cette colonisation, l’Eglise a connu aussi une grande expansion, et les théologiens étaient incités à réviser le concept de l’universalité du christianisme. Mais, étant donné que la mission était compromise par le nationalisme, Benoit XV a voulu relancer la mission, en s’élevant vigoureusement contre cet état d’esprit missionnaire et en voulant éradiquer les tensions nationalistes dans les terres d’apostolat missionnaire.
3. En soulignant le caractère universel de la mission, le Pape demande d’abord aux évêques et aux préfets apostoliques d’élargir les frontières de la foi hors des sentiers nationaux. A l’époque, l’organisation des missions catholiques, le ‘jus commissionis’ découpait le territoire colonial et confiait chaque territoire aux divers instituts missionnaires. Or, les territoires ecclésiastiques étaient considérés comme « colonies religieuses appartenant à tel ou tel institut », créant chez les missionnaires une mentalité de « féodalisme territorial ». Ils ne désiraient ni l’érection d’une Eglise locale constituée par le clergé local, ni laisser les chrétiens locaux accéder aux responsabilités.
4. En s’opposant aux féodalités nationalistes des puissances coloniales, Benoit XV ouvre la mission à une vision de l’Eglise universelle fondée par l’établissement de l’Eglise locale. Cette volonté pontificale, qui existait depuis le début du XIXe siècle , mais qui était restée à l’état de vœu pieux, le Pape la relance et demande aux missionnaires d’accorder une bonne formation aux clergés locaux. Pour lui, une bonne formation du clergé indigène est « le plus grand espoir des Églises nouvelles, car le prêtre indigène se trouve préparé à merveille pour introduire la foi chez ses compatriotes, comme il est naturel chez un homme qui leur est uni par la naissance, la mentalité, les sentiments et les goûts. » (MI 27)
5. Or, cet horizon de nouvelle Pentecôte est teinté du souhait de Rome de subordonner les missions à l’autorité exclusive du Dicastère De Propaganda Fide, c’est-à-dire de donner comme cadre aux Eglises naissantes celui de la romanité. La romanisation, soutenue par l'ecclésiologie centraliste du code de droit canonique de 1917, va connaître son apogée sous ses successeurs, Pie XI et Pie XII. Les Eglises locales, qui commencent à naître aux quatre coins du monde, seront formées par cette vision de la romanisation, qui laissera profondément son empreinte. Désormais cette romanité deviendra l’identité même de l’Eglise catholique dans les Eglises nées de la mission.
2. Vatican II et Ad gentes – sujet de mission, l’Eglise locale
1. Le Concile Vatican II s’est tenu dans le contexte de la décolonisation et des indépendances nationales, et dans celui où « l’espace vital de l’Eglise est désormais le monde entier » . L’expérience missionnaire au cours des XIXe et XXe siècles a conduit le Concile à repositionner les notions de catholicité. La pluralité, sous l’adage « Deus multifariam multisque modis locutus est », est devenue presque une règle du Concile, et a modifié le regard de l’Eglise sur la société (Gaudium et Spes), sur les autres religions (Nostra Aetate) et sur le droit de l’homme de confesser sa religion sous une forme communautaire (Dignitatis Humanae). Et le Concile a mis en place un autre type de relation avec le monde et avec les autres. L’ensemble des documents conciliaires a obligé à modifier un certain nombre d’affirmations sur la mission.
3. L’ecclésiologie de Lumen Gentium modifie le sujet de la mission, à travers la définition des relations des évêques dans le collège : « Les évêques sont, chacun pour sa part, le principe et le fondement de l’unité dans leurs Églises particulières ; celles-ci sont formées à l’image de l’Église universelle, c’est en elles et par elles qu’existe l’Église catholique une et unique » (LG 23) Cela dit que l’Eglise locale n’est donc plus à considérer comme une émanation d’un centre quelconque déjà là – dans ce cas, l’unité serait une adhésion à un centre qui se prétend universel. L’Eglise locale, enracinée dans son contexte culturel comme porteuse de sa propre histoire, est désormais le sujet de la mission, et le responsable de l’action missionnaire (LG 29). Même si les prérogatives de la Congrégation de la Propagande sont maintenues comme organe de direction et de coordination de l’œuvre des missions et de la coopération missionnaire (LG 29), la responsabilité première de la mission incombe à priori au corps des évêques, et les instituts missionnaires se trouvent désormais sous la juridiction des évêques, qui sont en lien avec les conférences épiscopales . C’est un grand changement par rapport à la période antérieure, pendant laquelle la mission ad extra était considérée comme œuvre exclusive d’Eglises européennes sous la direction de Rome.
4. L’Eglise particulière est ainsi reconnue comme autonome et comme sujet de la mission, mais elle est fondamentalement ‘reliée’ en communion avec les autres Eglises particulières: « toutes les parties apportent aux autres parties et à toute l’Église leurs dons propres, de sorte que le tout et chacune des parties s’accroissent de l’apport de tous, qui sont en communion les uns avec les autres, et de leurs efforts vers la plénitude de l’unité » (LG 13). L’Eglise, qui est définie comme « sacrement de l’unité » (LG 1), est fondamentalement au service du dessein divin de rassembler en Jésus Christ l’humanité séparée et dispersée. Dès lors, à l’intérieur d’elle-même, elle est sollicitée de vivre cette unité entre les Eglises particulières.
5. Les pères conciliaires ont voulu rééquilibrer le centralisme romain, devenu unilatéralement papal selon le modèle de la monarchie absolue, par la reviviscence de l’ecclésiologie de communion. Or, sans la reconnaissance d’altérité de l’Eglise particulière, l’Eglise se réduirait à un trait unique ; sans la communion, l’Eglise deviendrait une addition d’Eglises parallèles isolées ou un centre replié sur sa préservation et ses affaires internes.
6. A une époque où l’idée de pluralisme a commencé à donner une ouverture extraordinaire à l’esprit humain, en même temps qu’une fermeture idéologique qui commence à naître, mettant en péril la vocation humaine, le Concile souligne l’importance de la dimension communionnelle de l’Eglise.
7. A la base de cette ecclésiologie, le décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise, Ad Gentes présente la Trinité comme origine de la mission. Dès lors, la mission ne peut plus être considérée comme un simple devoir incombant aux chrétiens, mais comme la nature même de l’Eglise et comme vocation chrétienne. Cette redécouverte de la dimension ‘missio Dei’ a rééquilibré la perspective de la mission, comprise jadis unilatéralement comme ‘missio Ecclesiae’, nourrie d’ecclésiocentrisme.
Ce décret, en privilégiant ainsi la perspective de l’histoire du salut centrée sur la Trinité et sa mission à travers le Fils et l’Esprit, attribue à l’Eglise sa vocation comme la présence sacramentelle de l’amour du Dieu trinitaire, qui veut se communiquer lui-même en offrant la participation à sa propre vie. L’objectif finale de la mission n’est rien d’autre que « la manifestation du dessein salvifique de Dieu, son épiphanie et sa réalisation dans le monde et son histoire » (AG 9). Cette finalité de la mission change le style et le langage missionnaires en métaphore d’amour, d’invitation, de partage, de dialogue et de témoignage. C’est un grand changement par rapport à l’époque où la finalité était dans la conquête spirituelle et l’expansion de l’Eglise qui utilisaient la métaphore militaire et conquérante. Le Dieu trinitaire, l’origine de la mission, devient aussi source du nouveau style missionnaire.
7. ‘La conversion, dans le sens de prosélytisme des peuples ou des groupes’ et ‘l’implantation de l’Église’ chez les peuples non chrétiens, sont encore bien présentes dans le décret, mais elles sont interprétées comme la mise en place de la plénitude des moyens du salut pour toute l’humanité. Elles se trouvent en combinaison complexe avec la dimension de témoignage de vie, de dialogue et de charité : cette dimension peut se développer grâce à l’établissement d’un clergé local, aidé par des laïcs, et nourri par des formes de vie religieuse.
3) Evangelii Gaudium – mission de l’Eglise synodale
1. Depuis le Concile, le monde a bien changé encore !
Les pères conciliaires avaient pris conscience de la mondialisation naissante à l’époque, sans en bien mesurer les conséquences, qui s’approfondissent, s’élargissent à une vitesse accrue. La mondialisation, dynamisée par les technosciences et l’économie, engendre un phénomène d’homogénéisation culturelle, en nivelant et en relativisant les valeurs locales, et tout en faisant naître une culture uniformisée, matérialiste et mercantile. Ce nivellement des valeurs locales est une des causes de la montée de fondamentalismes et d’isolationnismes divers, qui ont tendance à enfermer l’homme dans une logique identitaire ou économique, présentant la différence comme une frontière symbolique que nul n’est autorisé à franchir, mettant ainsi fin à l’idée même d’une humanité et d’une fraternité communes.
- Nous vivons aussi un bouleversement technoscientifique qui a entraîné des conséquences anthropologiques et sociales considérables. Ce sont surtout l’avènement de l’informatique et le bouleversement des moyens de communication qui ont complètement changé le monde et l’homme dans toutes ses dimensions. Nous sommes au cœur d’un tournant anthropocentrique radical. L’homme est devenu le point de référence universel, si bien que toute vérité est rapportée au sujet humain, à son expérience. L’expérience est ainsi valorisée comme un critère majeur d’authenticité, et cette valeur d’authenticité tend à s’étendre dans toutes les cultures, bien au-delà de la sphère occidentale. Les sciences et les technologies, qui se généralisent, ont appris à l’individu à comprendre les choses en valorisant la culture de l’autonomie de la personne, en laissant Dieu refoulé du monde.
2. Au cœur de ce monde et au cœur de l’Eglise, où le programme ecclésiologique proposé par le Concile est mis en œuvre en grande partie, mais où sa mise en fonction appropriée est lente, Pape François veut revitaliser la mission, en dirigeant l’Eglise vers une nouvelle étape d’évangélisation. Un des plus grandes originalités d’Evangelii Gaudium consiste en ceci : en recadrant les données ecclésiologiques de Lumen Gentium sous l’angle de la mission, le Pape établit un lien intrinsèque entre la mission et l’exigence de réforme de l’Eglise. Face à l'Église « autoréférentielle », frappée d'une sorte de « narcissisme théologique », prétendant retenir le Christ à l'intérieur d’elle-même et ne le faisant pas sortir, il l’appelle à sortir d’elle-même et à aller dans les périphéries, périphéries géographiques mais également existentielles : là où résident le mystère du péché, la douleur, l’injustice et l’ignorance, et là où sont toutes les misères. La réforme de l’Eglise a ainsi une finalité clairement missionnaire. Dans le chapitre II, sur le discernement évangélique des signes des temps, le pape demande la conversion aux agents missionnaires, qui sont aussi affectés par la culture d’aujourd’hui. Leur conversion serait la condition même de la crédibilité de l’annonce. Il est lucide : « sans une vie nouvelle et un authentique esprit évangélique, sans « fidélité de l’Église à sa propre vocation, toute nouvelle structure se corrompt en peu de temps.» (EG 26). Ce ne sont pas des réformes de structure qui sont envisagées a priori, mais la conversion missionnaire : « Chaque Église particulière, portion de l’Église Catholique sous la conduite de son Évêque, est elle aussi appelée à la conversion missionnaire. Elle est le sujet premier de l’évangélisation, en tant qu’elle est la manifestation concrète de l’unique Église en un lieu du monde, (…) Pour que cette impulsion missionnaire soit toujours plus intense, généreuse et féconde, j’exhorte aussi chaque Église particulière à entrer dans un processus résolu de discernement, de purification et de réforme. » (EG 30)
3. Cependant, pour favoriser la mission, il faut une transformation de l’Eglise qui reste encore marquée par la centralisation romaine. L’expérience pastorale de François, sa sensibilité à l’histoire dans laquelle l’Eglise doit s’inscrire, sa sensibilité à la diversité des cultures ne peut pas laisser l’Eglise dans une centralisation qui, « au lieu d’aider, complique la vie de l’Église et sa dynamique missionnaire. » (EG 32) Il voit la nécessité de mettre en œuvre la décentralisation : « Il n’est pas opportun que le Pape remplace les Épiscopats locaux dans le discernement de toutes les problématiques qui se présentent sur leurs territoires. En ce sens, je sens la nécessité de progresser dans une “décentralisation” salutaire. » (EG 16) Or, l’appel à la décentralisation, qui ne vise pas uniquement la structure et les processus administratifs de l’Eglise, mais met en question le statut des Conférences épiscopales, conçu par le Concile Vatican II pour contribuer à la décentralisation, « Mais ce souhait ne s’est pas pleinement réalisé » (EG 32). Loin d’un universalisme abstrait, il met en œuvre une certaine forme de ‘décentralisation’ à travers une pratique pontificale qui donne une véritable autorité aux Conférences épiscopales, en accordant de l’importance au fruit du travail entre évêques. A travers l’Exhortation, le Pape donne des indications précises et concrètes en exhortant toutes les Eglises locales « à entrer dans un processus résolu de discernement, de purification et de réforme. » (EG 30)
3. A la place d’une ecclésiologie centraliste, il propose une Eglise en synodalité. Dans Evangelii Gaudium 31, en rappelant le Code de droit canonique, le Pape invite à mettre davantage en œuvre la synodalité dans tous les niveaux de réalisation de l’Eglise : « L’évêque doit toujours favoriser la communion missionnaire dans son Église diocésaine, en poursuivant l’idéal des premières communautés chrétiennes, dans lesquelles les croyants avaient un seul cœur et une seule âme (cf. Ac 4, 32). (…) Dans sa mission de favoriser une communion dynamique, ouverte et missionnaire, il devra stimuler et rechercher la maturation des organismes de participation proposés par le Code de droit Canonique et d’autres formes de dialogue pastoral, avec le désir d’écouter tout le monde, et non pas seulement quelques-uns, toujours prompts à lui faire des compliments. Mais l’objectif de ces processus participatifs ne sera pas principalement l’organisation ecclésiale, mais le rêve missionnaire d’arriver à tous. » À travers ce numéro, le Pape montre l’Eglise structurée par le ministère épiscopal, mais qui appelle à la participation de tous. Cet appel à la participation de tous les acteurs de l’Eglise à des formes variées de synodalité est « un seuil franchi dans la réception du Concile » .
4. C’est à l’intérieur de la finalité missionnaire qu’il faut situer la synodalité que le Pape veut mettre en place. Pour réaliser la synodalité à tous les niveaux, le Pape cite les canons qui valorisent les lieux de conseil, l’évêque avec ses prêtres, le curé avec certains de ses paroissiens. D’après L. Forestier, ce n’est donc pas une création nouvelle - puisque ces conseils participatifs existent déjà - que le Pape envisage, mais par l’engagement renouvelé des acteurs de l’Eglise, à travers la conversion dans les organismes et les structures qui existent déjà, il veut la mise en œuvre de la synodalité.
5. Ce genre d’effort de concrétisation, et aussi l’encouragement d’Evangelii Gaudium pour le dialogue entre la foi chrétienne et la diversité des cultures humaines, selon la vision anthropologique de Gaudium et Spes, ne fait pas tomber la perspective universelle du Pape dans un universalisme abstrait, qui a encore marqué le Concile, malgré ses efforts, même s’il est dépouillé des excès de centralisation romaine et plus sensible à son essence communionnelle.
6. A l’occasion du 50e anniversaire de l’institution du Synode des évêques, le Pape parle de la synodalité ecclésiale, où le principe hiérarchique, céphalité, est gardé mais transformé en « une pyramide renversée, le sommet se trouvant à la base » . Il s’agit d’un rappel à tous ceux qui exercent l’autorité d’un ‘ministre’ qu’ils doivent se considérer comme serviteurs du peuple de Dieu, selon le modèle de Jésus, le serviteur des serviteurs : « l’unique autorité est l’autorité du service, l’unique pouvoir est le pouvoir de la croix ». Avec le temps, il accentue davantage la synodalité : en 2018 il dit la synodalité « comme dimension constitutive de l’Église » et comme « ce que Dieu attend de l’Eglise du troisième millénaire » . Le pape emploie ce terme selon son étymologie courante qui provient du grec synodia en désignant un groupe de personnes qui cheminent ensemble (‘syn’-ensemble- ‘odos’- chemin) : « Ce que le Seigneur nous demande, en un certain sens, est déjà pleinement contenu dans le mot ‘‘Synode’’. Marcher ensemble – Laïcs, Pasteurs, Evêque de Rome – est un concept facile à exprimer en paroles, mais pas si facile à mettre en pratique ». En effet la synodalité est dans son ADN de manière constitutive, structurelle de l’Eglise en tout domaine de sa vie.
※ A l’époque de la colonisation, c’est-à-dire de la domination de l’autre par la force, Benoit XV, en s’opposant à la politique coloniale des Etats européens, veut transformer l’Eglise par l’érection d’Eglises locales constituées par le clergé local pour favoriser la mission - puisque le clergé local sait comment introduire la foi à ses compatriotes. Cette reconnaissance de l’autre, dans sa différence culturelle, se trouve limitée par une ecclésiologie centraliste et romaine conçue par une vision universaliste abstraite.
Si Maximum Illud tendait vers l’établissement de l’Eglise locale à une époque de colonisation, Ad gentes, à l’époque des indépendances et du début de la mondialisation contemporaine, propose l’ecclésiologie de communion fondée sur la reconnaissance de l’Eglise particulière comme étant à l’image de l’Eglise universelle. Certains détails du décret Ad gentes sont dépassés pour aujourd’hui, surtout sa théologie d’accomplissement, qui ne reconnaît pas l’altérité de l’autre, pose problème. Ainsi, la notion de communion pose aussi problème. Elle peut être comprise comme une incorporation des Eglises locales à ce qui était déjà au centre, considéré comme universel.
Mais aujourd’hui, les personnes considérées étant au marge commencent à parler de leur centre propre et non comme émanation d’un autre centre quelconque. La porte est certes ouverte par le Concile au principe ecclésial de reconnaissance de la pluralité, mais aujourd’hui il convient de penser à une autre figure historique de l’Eglise, où l’altérité serait reconnue comme une véritable réalité existentielle et où la réciprocité fonctionne.
Le Pape François oriente l’Eglise vers une Eglise synodale, communio ecclesiarum par la réforme de l’Eglise. La mise en relief de la synodalité complète l’ecclésiologie de communion présentée par Lumen Gentium. C’est ce qui fait une nouvelle étape de la réception du Concile, et ce qui est la spécificité du nouveau paradigme missionnaire.
II. Perspective de la mission synodale d’aujourd’hui
Je développerai davantage, dans cette deuxième partie, la mission synodale et la synodalité de la mission. Pour commencer, je soulignerai trois points qui me semblent fondamentaux pour la mission synodale.
1. Trois points fondamentaux pour la mission d’aujourd’hui
1) La mission sur l’horizon de l’unité
1. Beaucoup de documents conciliaires commencent par présenter l’unité de l’humanité comme horizon fondamental de la mission : « L’Église étant dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain, elle se propose de mettre dans une plus vive lumière, pour ses fidèles et pour le monde entier (…), sa propre nature et sa mission universelle. À ce devoir, qui est celui de l’Église, les conditions présentes ajoutent une nouvelle urgence : il faut que tous les hommes, désormais plus étroitement unis entre eux par les liens sociaux, techniques, culturels, réalisent également leur pleine unité dans le Christ. » (LG 1). La mission est au service de ce dessein divin de rassembler en Jésus Christ l’humanité séparée et dispersée. Quand Jésus priait son Père « Qu’ils soient un comme nous sommes un. » (Jn 17), il priait pour que nous soyons ‘à la ressemblance’ du Dieu trinitaire, par « la construction d’un nous humain à la ressemblance du Nous divin ». Or, cette visée d’une totalité de l’humanité unifiée est un appel « à s’humaniser, à se lier les uns aux autres par un même lien d’humanité » et « par la participation solidaire de tous à la finalité qui leur est commune » .
2. Cet horizon de la volonté salvifique universelle de Dieu doit être concrétisé dans la personne humaine formée par le contexte socioculturel historique. Dans le monde d’aujourd’hui, il y a une urgence particulière à réélaborer la mondialisation, moteur principal de nivellement culturel et de fragmentation. Par l’intérêt particulier de chaque pays, l’amour de l’homme pour ses semblables se trouve menacé par l’isolationnisme et par l’hermétisme dans la particularité. Dans cette situation, la vocation de l’Eglise pour l’unité doit devenir l’objectif même de la mission. L’annonce de l’Evangile n’a de sens que lorsque l’Eglise se situe sur cet horizon universel et lorsqu’elle s’investit pour l’unité en Christ par la quête de la réconciliation et de la paix, afin que les hommes ne restent pas enfermés dans leur histoire blessée, ou dans leur intérêt économique, mais entrent en dialogue et en solidarité les uns avec les autres. Pour la réalisation de cette perspective large, il convient de travailler sur ce qui est petit, sans s’évader, sans se déraciner, mais en enfonçant nos racines dans la terre fertile et dans l’histoire de notre propre lieu, qui est un don de Dieu (EG 235)
2) Mission comme dialogue Ad inter gentes dans l’élan de la catholicité
1. Dei Verbum s’organise à partir d’un modèle de ‘communication’ : la relation entre Dieu et les hommes est conçue sous la forme de dialogue - qui demande une capacité d’écoute, et non une approche sous la forme d’une instruction. Paul VI, dans Ecclesiam Suam, qui porte comme le mot-clé ‘dialogue’, réaffirme la nature et la mission de l'Église dans un contexte de bouleversements sociaux : « La révélation, qui est la relation surnaturelle que Dieu lui-même a pris l’initiative d’instaurer avec l’humanité, peut être représentée comme un dialogue dans lequel le Verbe de Dieu s’exprime par l’incarnation et ensuite par l’Evangile. (…) L’histoire du salut raconte précisément ce dialogue long et divers qui part de Dieu et noue avec l’homme une conversation variée et étonnante. »
2. Dans le monde d’aujourd’hui, par un accroissement considérable du brassage mondial, il y a une prise de conscience plus sérieuse du pluralisme et de sa légitimité. La réalité de vie des hommes, très diverse et différente, est mieux connue comme une véritable réalité cognitive et existentielle irréductible. Dans ce contexte, la considération de la singularité de chaque peuple - son appartenance religieuse et culturelle, sa mémoire et sa langue etc. -, qui était et qui est souvent déconsidérée et assujettie par ceux qui se considéraient comme centre, devient une nécessité obligatoire lors de la mission. Ceux qui étaient considérés jadis comme étant aux marges commencent aujourd’hui à révéler leur altérité, qui résiste et dérange ceux qui se considèrent comme centre, en bousculant leur certitude. Ce nouveau contexte révèle que les documents conciliaires sont aussi le produit d’un certain centre, par le fait que les catégories employées sont bien latines. Les pères conciliaires ont certes ouvert la porte au principe ecclésial de reconnaissance de la pluralité des cultures et des peuples, mais aujourd’hui, il nous faut avouer que cette reconnaissance reste encore insuffisante. La majorité chrétienne d’aujourd’hui est forgée par des catégories qui ne sont ni grecques ni latines. Le passage à ces autres peuples, qui coïncide avec le recul de l’eurocentrisme, tend à engendrer une autre figure historique de l’Eglise que celle de l’Occident liée au bassin méditerranéen.
2. Etant donné que l’homme ne peut pas être sauvé seul, mais par le lien d’humanité qui les unit les uns aux autres tous ensemble, on ne peut pas projeter la mission comme une activité de prosélytisme, en exigeant une rupture du lien. Plutôt que cette mission ‘ad gentes’ d’une seule direction, il convient de percevoir la mission comme un mouvement de réciprocité féconde, ad-inter gentes. Celle-ci convient davantage dans le monde d’aujourd’hui, où il y a une affirmation d’identité, et une réticence envers un rapport d’une seule direction et d’aide - donner à ceux qui n’ont pas. Que ce soit dans l’ordre de la vérité, de l’enseignement moral, de l’espérance du salut ou du partage de la richesse matérielle, le rapport d’une seule direction est perçu plutôt comme présomptueux, paternaliste et étouffant. La charité n’est pas un acte paternaliste, mais accompagne l’autre pour être debout, pour qu’il trouve en lui-même un tremplin d’espérance dans la relation avec le Seigneur. Elle est donc dans l’acte de respecter l’autre dans sa différence, en même temps qu’inséparable, et dans l’acte de rencontrer, d’écouter et de découvrir ‘les puits d’où ils puisent leur source’ (cf. G. Gutierrez). Ainsi, en entrant dans un rapport ‘inter’, plutôt que dans un rapport unilatéral d’annonceur de la vérité, on peut annoncer la Bonne Nouvelle.
3. La vérité de notre foi doit être vécue dans la manière de témoigner, d’entrer en interrelation et en réciprocité féconde, et dans l’hospitalité à l’égard de ceux qui sont différents. La foi en Dieu trinitaire nous demande continuellement d’entrer dans le rapport de périchorèse et de sortir d’une autosuffisance, de ne pas cesser de découvrir Dieu comme Autre, comme plus nécessaire.
Nous devons donc avoir une perspective large de la catholicité du christianisme, selon la manière hospitalière de Jésus, et non comme une religion exclusive, prétendantavoir le monopole de la vérité. Or, le sens de la vérité jaillit de la rencontre avec les autres. La collaboration avec les autres religions, une meilleure compréhension des autres cultures, le tissage de l’esprit fraternel avec les autres ethnies… sont de nouveaux espaces de la mission. Nous sommes surtout appelés à aller au-delà de toutes les frontières dans les lieux de fracture et de divisions, dans les lieux où l’homme vit des situations inhumaines. Ainsi l’Église deviendra "le sacrement universel du salut" qui guérit les blessures de l’histoire et qui réconcilie les peuples en conflit, par un style de dialogue, d’inter-action, et d’intégralité, qui fait grandir tous ensemble, faisant ensemble l’expérience de la rédemption et de la grâce.
3) Mission, vocation du peuple de Dieu tout entier
1. Dans un acte de réception de Lumen Gentium, qui nomme tous les baptisés comme ‘peuple de Dieu’ et d’Ad Gentes qui déclare l’œuvre de l’évangélisation comme devoir fondamental du Peuple de Dieu, le pape François veut mettre en œuvre la synodalité dans la mission, en encourageant tous les chrétiens à devenir missionnaires. A la différence d’Ad Gentes qui montre très hiérarchiquement d’où découle la mission, Evangelii Gaudium utilise abondamment la notion de ‘disciple-missionnaire’ : les baptisés, du premier au dernier, sont tous des disciples missionnaires en vertu du baptême reçu. En donnant une grande importance à la mission pneumatologique, il écrit : « Le Peuple de Dieu est saint à cause de cette onction que le rend infaillible “in credendo”. Cela signifie que quand il croit il ne se trompe pas, même s’il ne trouve pas les paroles pour exprimer sa foi. L’Esprit le guide dans la vérité et le conduit au salut. Comme faisant partie de son mystère d’amour pour l’humanité, Dieu dote la totalité des fidèles d’un instinct de foi – le sensus fidei – qui les aide à discerner ce qui vient réellement de Dieu. La présence de l’Esprit donne aux chrétiens une certaine connaturalité avec les réalités divines et une sagesse qui leur permet de les comprendre de manière intuitive, même s’ils ne disposent pas des moyens appropriés pour les exprimer avec précision. » (EG 119). Pour François, il serait inadéquat de penser la mission uniquement par des acteurs qualifiés, où le reste du peuple fidèle serait seulement destiné à bénéficier de leurs actions. Dans la mesure où il y a des expériences de l’amour du Seigneur qui donne réconfort et bonne espérance, quelle que soit sa fonction dans l’Église et le niveau d’instruction de sa foi, tous les baptisés sont les sujets de l’évangélisation.
2. La synodalité dans la mission
a) Dialogue ad-intra ecclesiam
1. Le peuple entier est missionnaire, et invité à collaborer pour la mission, selon le charisme et la spécificité (non de la supériorité) de chaque statut des baptisés. Or, c’est par la reconnaissance des vocations de chaque statut que le peuple de Dieu tout entier peut entrer en coresponsabilité dans la mission. Comme le Pape rappelle dans Evangelii Gaudium (31) quelques numéros du Code de droit canonique, l’Eglise synodale est invitée à favoriser la communion dynamique ouverte à la mission à tous les niveaux de la vie ecclésiale : de la paroisse aux diocèses, aux nations et aux continents. Un des rôles de l’évêque consiste à stimuler la maturation des organismes de participation et les formes diverses de dialogue pastoral.
2. Pour la synodalité dans la mission, il faut donc deux préalables : la reconnaissance et le respect de la dignité de chaque entité et de la capacité d’être évangélisateur ; et la collaboration dans la réciprocité entre les trois entités ecclésiales - le clergé, la vie consacrée et le laïcat. Ce qui différencie ne doit pas être vécu en parallélisme ou en cause de séparation, mais comme distinction qui relie les uns aux autres, comme une chance pour s’ouvrir, parfois par le basculement de la conviction. La mise en relief de la consistance de l’autre appelle une mise en relief aussi forte de la réciprocité dynamique.
3. En 1996, dans son Exhortation apostolique Vita Consecrata, Jean-Paul II spécifie l’identité et le rôle de chaque entité : « Les laïcs, en vertu du caractère séculier de leur vocation, reflètent le mystère du Verbe incarné, surtout en ce qu'il est l'Alfa et l'Oméga du monde, fondement et mesure de la valeur de toutes les réalités créées. Les ministres sacrés, de leur côté, sont de vivantes images du Christ chef et pasteur, qui guide son peuple dans le temps du "déjà là et du pas encore", en attendant sa venue dans la gloire. La vie consacrée a le devoir de montrer le Fils de Dieu fait homme comme le terme eschatologique vers lequel tout tend, la splendeur face à laquelle pâlit toute autre lumière, la beauté infinie qui peut seule combler le cour de l'homme. (VC16) Chaque entité a sa propre vocation et son charisme, mais il ne possède pas à lui-seul tous les fruits de l’action de l’Esprit Saint. Il doit s’ouvrir à l’ensemble de l’Eglise dans l’esprit synodal.
4. La reconnaissance de la diversité des charismes et des ministères n’a de sens que lorsqu’elle est tendue vers la coresponsabilité dans la mission et vers la collaboration dans la relation de réciprocité par l’échange, par la circulation, parfois par la confrontation, « de telle sorte que tout le monde, à sa façon et dans l’unité, apporte son concours à l’œuvre commune » (LG 30). Si les divers acteurs missionnaires arrivent à vivre la réciprocité fraternelle entre eux, cette union même est un témoignage au monde d’aujourd’hui qui revendique la culture d’autonomie et veut forger sa propre vie par l’expérience subjective, en devenant de plus en plus anti-institutionnelle et tout en sous-estimant l’expérience communautaire et collective.
b) Pour concrétiser la synodalité dans la mission
1. Vivre la synodalité dans les formes qui existent déjà : il convient de renouveler les conseils pastoraux et le synode, qui existent déjà sous es formes variées pour permettre la participation active du peuple de Dieu. C’est souvent dans l’Eglise locale, surtout dans les continents en dehors d’Europe , que la synodalité est plus difficile à mettre en place, à cause du cléricalisme - souvent nourri de la culture environnante et du sens du sacré-, de l’autoritarisme, de la monopolisation, et du parallélisme qui persistent. Les pasteurs, et aussi les consacrés sont invités à examiner honnêtement s’ils sont assez ouverts à vivre la synodalité dans la mission, en donnant aux laïcs des occasions de collaborer par leur compétence en matière de savoir-faire aux affaires du monde, et aussi par leur capacité d’atteindre à la profondeur de l’Evangile et en vivre véritablement.
2. Sortir du cléricalisme : D’après Pape François, le cléricalisme « annule non seulement la personnalité des chrétiens, mais tend également à diminuer et à sous-évaluer la grâce baptismale que l’Esprit Saint a placée dans le cœur de notre peuple. » et limite « les différentes initiatives et efforts et les audaces nécessaires pour pouvoir apporter la Bonne Nouvelle de l’Évangile dans tous les domaines de l’activité sociale et surtout politique. » Le cléricalisme, loin de donner un élan aux différents acteurs de l’Eglise, éteint plutôt le feu et le dynamisme missionnaires.
3. Nécessité d’une reconnaissance instituée : Pour que l’Eglise soit moins cléricale, moins administrative, moins enfermée dans les problèmes paroissiaux et diocésains, il convient d’une reconnaissance instituée à chaque entité ecclésiale, surtout aux laïcs, et surtout des femmes qui portent l’Eglise, et qui amènent une autre vision des choses, mais qui sont peu présentes dans les lieux de réflexion et de décision. Il est généralement reconnu que la présence des religieuses dans l’Eglise locale encourage l’Eglise à une ouverture vers la tâche de la nouvelle évangélisation et la provoque à ne pas se fermer sur elle-même. Le clergé a besoin de mieux comprendre le rapport d’identité de la vie consacrée et de la mission et de ne pas considérer les religieuses en termes d’utilité pour la mission. Le dialogue mutuel entre clergé, laïc et religieux ne peut qu’enrichir la mission.
4. Profiter de la vocation missionnaire de la vie consacrée : Les religieuses se consacrent à Dieu, selon le charisme spécifique de la congrégation, par l’engagement des trois vœux, la chasteté, la pauvreté et l’obéissance, autrement dit par un oui total à la suite de Jésus Christ. Par cet engagement, elle devient signe, petite Epiphanie du Royaume de Dieu au cœur de ce monde. C’est-à-dire par le renoncement au monde qui la met dans un juste écart par rapport au monde, ce qui n’est pas un fossé, la vie consacrée devient capable de scruter l’histoire, d’interpréter les événements, de pointer du doigt ce qui abîme Dieu et ce qui abîme l’humain. Elle est donc appelée à vivre une mission transcendante dans le monde en vertu de son renoncement aux désirs de pouvoir, de prestige, de convoitise d’autonomie individualiste.
5. Contempler le mystère de Dieu trinitaire : L’authentique expérience de Dieu nous met dans une dynamique de relation, et de réciprocité. Essayons de suivre à l’infini distance les Trois Personnes divines dans leur périchorèse : les Trois Personnes divines sont sans confusion, ni séparation, mais, dans l’union consubstantielle, circule incessamment le mouvement perpétuel d’amour par lequel le Père engendre le Fils dans l’Esprit. La foi en ce Dieu trinitaire nous fait mettre en garde l’autosuffisance. Dieu, qui est plus proche de chacun de nous et en même temps plus étranger, empêche de réduire l’altérité à l’identique, l’unité à l’uniformité. Comme l’écrit M. de Certeau : « La différence, jamais éliminable, éveille le désir de l’union, et l’union, jamais faite, restaure la différence. »